All About Me

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ALL ABOUT ME 2019

Photo

A l’occasion du salon PARIS PHOTO 2022 qui se tiendra du 10 au 13 novembre, Art Research Paris – ARP Auction a fait le choix de présenter un ensemble de hotographies de Paolo Topy composant un parcours étonnant où ce dernier interroge le rapport de la photographie au récit et tout particulièrement au genre autobiographique.

Paolo Topy, artiste français d’origine italienne, est né en Libye en 1966. Il vit et travaille à Nice.

Cette exposition reprend le titre de ce corpus singulier : « All about me » et se compose de 45 tirages en couleur réalisés à l’été 2019. Il s’agit d’une série de travaux photographiques conçue par Paolo Topy sur la base d’un désir de représentation autobiographique. A partir de là, l’artiste a érigé comme protocole la non représentation de son propre corps et de son visage afin d’éviter tout risque d’exhibitionnisme et/ou de voyeurisme, l’utilisation d’objets manufacturés issus d’une collecte opportuniste voire hasardeuse dans un environnement immédiat qui est celui du quotidien – le sien mais aussi celui de son entourage proche – une articulation simple et la plus spontanée possible privilégiant ainsi un geste premier, une action intuitive voire inconsciente.

C’est une photographie de famille qui est à l’origine de ce travail. Un tirage, somme toute assez banal, en noir et blanc, représentant ses parents seuls. Un de ces clichés qui, pour reprendre les mots de Roland Barthes, composait depuis son enfance son « imaginaire d’images » et qu’il gardait précieusement sur sa table de nuit.

La référence au philosophe et, tout particulièrement, à son ouvrage « Roland Barthes par Roland Barthes » édité aux éditions du Seuil en 1975 n’est pas fortuite. L’ouvrage se composant d’un cahier photographique d’une quarantaine de pages suivi d’une autobiographie classée sous forme d’entrées alphabétiques interroge, justement, la relation entre photographie et récit autobiographique, les deux étant, dans ce livre, structurellement distincts.

La volonté de Paolo Topy est, justement, à rebours de ce principe, de fusionner récit et images, que ces dernières deviennent récit.

Afin d’y arriver et, au passage, de parfaire avec humour cette « sidération » que décrit le philosophe comme à l’origine de ses choix et d’amalgamer quasi « chimiquement » photographie et récit autobiographique, celui qu’il entend mettre en œuvre, Paolo Topy a ajouté symboliquement à cette photographie de ses parents un jouet, une petite figurine, une de ces petites marionnettes que l’on fixe au bout des doigts. Elle représente un monstre, cette créature qui est celle du docteur Frankenstein. Il a ensuite réalisé un cliché de ce montage.

Cette figurine a pour but d’escamoter sa propre image. Le choix de Paolo Topy s’est porté sur un objet de substitution, un objet dérisoire à l’aspect grotesque, monstrueux.

Ce parti pris trouve son origine dans le vécu et le ressenti même de l’artiste. L’arrivée d’un enfant aux facultés autres dans un environnement familial classique peut vite le faire passer pour un monstre ou lui laisser croire qu’il l’est. Ce premier geste plein d’humour, de dérision et de tendresse est la source de toute la série « All about me ». Le marmouset utilisé comme sujet est donc, pour l’occasion, la projection symbolique de l’artiste et permet la création d’un lieu commun partagé avec le regardant. Cette projection, qui organise dans le même temps une certaine distanciation, permet un basculement : la narration individuelle devient récit partagé et, par l’entremise d’un glissement savamment organisé, collectif.

Cette figurine fonctionne donc tel un postulat. Elle représente l’artiste. Paolo Topy, par ce geste, bouscule le principe de la photographie d’enfance et prend la main sur ce que cette dernière est censée évoquer : l’oubli d’un temps révolu. En l’intégrant à une photographie d’où il était absent, il fait de cette dernière une image qui est bien plus qu’une illustration, qu’un témoignage. Il organise lui-même la relation du soi à soi, il construit un monde. De ce qui n’existait pas ou pas encore, il donne corps et le donne à voir. Le fictionnel iconographique permet l’amorce d’un récit inscrit dans l’image elle-même. Un récit qu’il développe ensuite dans l’ensemble des œuvres composant la série « All about me ».

La question de la représentation autobiographique, de celle du soi ne se pose pas. Il s’agit du choix de l’artiste, du principe même de l’exercice artistique édicté dans un protocole que ce dernier a, lui-même mis en place afin d’éviter l’écueil d’une représentation qui, par sa trop grande évidence, confinerait au ridicule d’une sinistre théâtralité égocentrée.

Paolo Topy, techniquement auteur de la photographie, devient, de fait, le narrateur du récit dont il est le personnage principal. Le postulat de la marionnette permet son identification au sein même du discours qu’il énonce. Par l’entremise de ce processus qu’il maîtrise de bout en bout, et qui, selon le principe qu’il pose comme relevant de la véridicité, le représente par la manière même de l’organiser, il se conforme au pacte référentiel et, plus généralement, au cadre théorique édicté par Philippe Lejeune théoricien de la littérature et spécialiste de’autobiographie dans son ouvrage « Le pacte autobiographique » publié aux éditions du Seuil en 1975 et ainsi « jure de dire toute la vérité, rien que la vérité ».

Avec la série « All about me », Paolo Topy met en place un « dispositif » dont le récepteur ne sera pas un lecteur proprement dit – quoique – mais plutôt un regardant qui sera invité à reconstruire le récit à partir de l’ensemble des signes contenus dans chacune des images. Bien entendu, ce dernier acceptera d’autant plus volontiers la proposition qui lui est faite et la considèrera comme véridique que l’artiste, en fusionnant image et récit autobiographique, réorganise la sémiotique propre à ces deux entités. Il propose de mieux circonscrire la complexité de l’ensemble des signes en présence afin de mieux les organiser et, par-là, de leur donner sens de manière plus évidente, plus efficace et plus universelle.

Cette efficacité organise ce lien, cet échange nécessaire qui permettra au regardant de compléter ces images par sa propre manière de percevoir ces signes et de les combiner. L’interprétation qu’il en fera sera toute personnelle. Il répondra, là, à l’invite qui lui est faite par l’artiste. Cela se fera d’autant plus facilement que, comme pour tout projet artistique, même mûrement réfléchi, l’exploration organisée et définie par le protocole de départ s’accompagne d’une part d’expérimentation riche de potentiels qui fonctionnent comme autant de perturbateurs de l’espace de perception. Ils viennent ainsi enrichir le propos préalablement établi.

Au fil des images se profile aussi la construction d’une énonciation qui, étonnamment, échappe à la seule vision historique – forcément linéaire et rétrospective – perçue arbitrairement comme une suite cohérente d’évènements.

Il s’agit, certes, d’un récit personnel qui prend une tournure quasi littéraire par l’entremise d’un ordre et d’une logique qui lui sont propres mais il s’agit, aussi, d’une suite de petits récits – capsules – correspondant chacun, de manière concrète, à une œuvre et dont la réunion forme simplement un corpus d’images à l’articulation potentiellement et stratégiquement aléatoire. Nous découvrons dans cette nouvelle proposition de Paolo Topy la volonté, non pas de valoriser une histoire individuelle composée de parties liées et harmonisées entre elles mais plutôt celle d’en révéler la potentialité créative et l’exemplarité – somme toute ordinaire – comme métaphore sociale.

Cette suite d’images (qui sont autant de petits récits de vie) devient le lieu d’une expression du soi dans un souci de communication et de transmission aux autres, un outil de construction individuelle dans une démarche de projet, un moyen de reconnaissance et de valorisation d’un territoire, celui de l’intime par le truchement de la métaphore d’un contexte populaire et d’une époque de consumérisme et de loisir productrice de déchets en tout genre, particulièrement plastiques et ce, dans tous les sens du terme.

Certaines associations d’objets font allusion de manière évidente aux diverses origines méditerranéennes de l’artiste, à sa naissance en Libye, à sa vie passée en Italie puis, plus tard, en France, à sa double culture italienne et française et donc aux rapports qu’il entretient avec la notion même de culture individuelle et la manière dont elle se construit. Il évoque, aussi, les différentes formes que peut prendre le nomadisme de tout être humain sur le parcours de la vie et qui, parfois, confine à l’égarement. Quelques-unes interrogent son rapport au quotidien, aux petites choses en apparence anodines, aux évènements qui font la vie de tous les jours jusqu’aux plus surprenants. Cet ensemble révèle plus largement son lien aux territoires, ceux d’où l’on vient, ceux que l’on traverse ou bien ceux où l’on s’installe plus longuement, ceux que l’on finit, aussi, par se construire mentalement, aux contours plus changeants, à l’idée d’errance physique, morale et intellectuelle, en somme à l’idée d’identité qui ne finit jamais de se redéfinir et de se mouvoir en des territoires toujours nouveaux à explorer.

L’humour et la dérision – l’autodérision – mais aussi le grotesque s’invitent, le grave, le tragique parfois également. L’improbable ou l’absurde font irruption et viennent semer la confusion. On le voit, ce récit est, néanmoins, volontairement brouillé.

Certaines combinaisons par leur aspect onirique construisent un récit qui, à l’évidence, semble inventé. L’artiste organise volontairement le doute. Le trouble s’installe. Se pose alors comme question de savoir où commence le récit autobiographique à visée historique et où commence le « roman » d’une vie.

Yves Peltier

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